Circulaire du 29 janvier 2019 relative à l’obligation pour le responsable légal de désigner le conducteur d’un véhicule détenu par une personne morale à la suite de la commission d’une infraction

Date de signature :29/01/2019 Statut du texte :En vigueur
Date de publication :14/02/2019 Emetteur :Ministère de la justice
Consolidée le : Source :http://circulaire.legifrance.gouv.fr/
Date d'entrée en vigueur :15/02/2019

Circulaire du 29 janvier 2019 relative à l’obligation pour le responsable légal de désigner le conducteur d’un véhicule détenu par une personne morale à la suite de la commission d’une infraction

La directrice des affaires criminelles et des grâces

à

Pour ATTRIBUTION


Mesdames et Messieurs les procureurs généraux près les cours d'appel 
Monsieur le procureur de la République près le tribunal supérieur d'appel 
Mesdames et Messieurs les procureurs de la République  près les tribunaux de grande instance 
Madame le procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris  

Pour INFORMATION


Mesdames et Messieurs les premiers présidents des cours d'appel 
Monsieur le président du tribunal supérieur d'appel 
Mesdames et Messieurs les présidents des tribunaux de grande instance
Monsieur le membre national d'EUROJUST pour la France 

 
 
N° NOR : JUSD1903115C
N° CIRCULAIRE : CRIM/2019-01/E1-29.01.2019
N/REF : DP 2018/0111/E11
OBJET : Circulaire relative à l’obligation pour le responsable légal de désigner le conducteur d’un véhicule détenu par une personne morale à la suite de la commission d’une infraction
 
 
L’article 34 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a créé à l’article L. 121-6 du code de la route une nouvelle infraction qui conduit à faire peser sur le responsable légal de la personne morale l’obligation de désigner le conducteur lors de la commission d’infractions routières relevées par contrôle automatique (1)

Cette disposition est issue d’une recommandation du comité interministériel de la sécurité routière du 2 octobre 2015 à la suite du constat d’une rupture d’égalité dans la sanction des infractions aux règles de sécurité routière. Faute de désignation, le conducteur fautif, au volant d’un véhicule mis à sa disposition par son employeur, était rarement sanctionné par le paiement d’une amende et le retrait de points sur son permis de conduire.  

Les chiffres communiqués par le rapport d’activité de l’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) montrent que, depuis l’entrée en vigueur de cette infraction le 1er janvier 2017, le taux de désignation des conducteurs est passé de 26 % en 2016 à 83 % fin 2017. Dans le même temps, le nombre d’infractions commises par les véhicules immatriculés au nom d’une personne morale a baissé de 9,4 %. 

Ces chiffres démontrent l’impact positif de cette nouvelle disposition sur la sécurité routière, d’autant plus que les accidents de la route constituent la première cause de mortalité au travail.

La Cour de cassation en a validé le principe en estimant que sept questions prioritaires de constitutionnalité, posées au cours de l’année 2018, ne présentaient pas un caractère suffisamment sérieux pour justifier leur transmission au Conseil constitutionnel (2).

L’application de cette disposition législative ayant généré un important contentieux et le Défenseur des droits ayant émis une recommandation à ce sujet (3), il est apparu nécessaire d’en préciser aujourd’hui le régime procédural (I) et les orientations de politique pénale (II), au regard notamment de la jurisprudence récente de la chambre criminelle de la Cour de cassation. 
 
1. L’infraction de non-désignation du conducteur 

1.1  Présentation de l’infraction

L’article L. 121-6 du code de la route dispose que : « lorsqu'une infraction constatée selon les modalités prévues à l'article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d'immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention, à l'autorité mentionnée sur cet avis, l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol, d'une usurpation de plaque d'immatriculation ou de tout autre événement de force majeure. Le fait de contrevenir au présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ».

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017. Cette infraction sanctionne les nondésignations intervenues après l’entrée en vigueur de la loi, quand bien même l’infraction initiale a été commise antérieurement (4). Cette obligation de désignation, dont les modalités sont précisées aux articles A. 121-1 et suivants du code de la route, s’applique quelle que soit la forme juridique de la personne morale (5).

L’obligation de désigner le conducteur d’un véhicule immatriculé au nom d’une personne morale concerne les infractions au code de la route dont la liste est prévue à l’article R. 130-11, constatées par un appareil de contrôle automatique dûment homologué, et relatives : L’amende prévue par l’article L. 121-6 du code de la route s’ajoute à celle prévue pour l’infraction initiale dont le représentant légal de la personne morale est pécuniairement redevable en application de l’article L.121-3 du code de la route. 
 
L’élément matériel de cette infraction est constitué dès lors que le représentant légal de la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation n’a pas désigné le conducteur du véhicule dans un délai de 45 jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention adressé par le centre national de traitement automatisé des infractions routières (CNT).

1.2  La constatation de l’infraction par les agents du centre automatisé de constatation des infractions routières (CACIR)

Les agents du CACIR sont compétents pour constater cette infraction sur le fondement des dispositions communes à toutes les contraventions éligibles à l’amende forfaitaire de l’article 530-6 du code de procédure pénale. L’avis de contravention adressé au contrevenant repose sur l’existence préalable d’un procès-verbal établi par l’officier ou l’agent de police judiciaire compétent qui n’est pas adressé au contrevenant. 

Par ailleurs, l’infraction initiale ayant été constatée par les officiers ou agents de police judiciaire du CACIR, du fait de leur compétence territoriale prévue à l’article L. 130-9 al. 3 du code de la route, ces agents sont les seuls en mesure de constater l’infraction de nondésignation.




 

1.3 La contestation des avis de contravention

Les modalités de contestation des avis de contravention et des avis d'amende forfaitaire majorée des articles 529-10 et 530 du code de procédure pénale s’opèrent au moyen d’une requête en exonération ou d’une réclamation avec, éventuellement, acquittement d’une consignation préalable.

À la différence des contestations relatives à l’avis de contravention initiale, dont la recevabilité formelle est d’abord examinée par l’OMP du CNT situé à Rennes, avant d’être transmises à l’OMP du domicile du contrevenant, l’examen des contestations relatives à l’avis de contravention pour non-désignation est de la compétence de l’OMP du lieu des faits, c’est-àdire celui du siège social de la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation.

À réception de la contestation de l’avis de contravention de non-désignation, l’OMP du lieu des faits peut classer sans suite ou exercer des poursuites.

2. Les orientations de politique pénale en matière de non-désignation du conducteur

2.1 Les difficultés liées à la désignation du représentant légal comme conducteur 

L’obligation faite au représentant légal fautif de se désigner lui-même a pu poser des difficultés aux représentants légaux de sociétés individuelles en nom personnel du fait, notamment, de leur homonymie avec la raison sociale de la personne morale figurant sur le certificat d’immatriculation et reproduite sur l’avis de contravention (8).

Certains représentants légaux n’ont ainsi pas procédé à leur désignation en qualité de conducteur, pensant que l’avis de contravention initiale leur avait été adressé en qualité de conducteur et non en qualité de représentant de la personne morale.

La recommandation du Défenseur des droits adressée le 15 novembre 2017 au ministre de l’intérieur sur ce risque de confusion a conduit l’ANTAI à opter pour une information plus claire dans les modèles d’avis de contravention.

Dans la mesure où le représentant légal a invoqué de bonne foi une confusion quant au destinataire de l’avis de contravention, notamment s’il s’est par la suite auto-désigné, même tardivement, et qu’il a pu être sanctionné en tant que conducteur, l’infraction de nondésignation pourra faire l’objet d’un classement sans suite au motif que l’infraction n’est pas suffisamment caractérisée.

2.2 La possibilité d’engager la responsabilité pénale de la personne morale 

Le fait que les avis de contravention pour non-dénonciation soient parfois directement adressés à la personne morale titulaire de la carte grise, et non au représentant légal de celle-ci, a donné lieu à un certain nombre de contestations.

Pourtant, le fait que l’avis de contravention pour non-désignation soit adressé à la personne morale, et non à son représentant légal, révèle la volonté d'engager la responsabilité pénale de la personne morale qui n’est pas exclusive de celle du représentant légal (9). L’amende encourue étant quintuplée, la poursuite de la personne morale peut constituer un levier dissuasif (10).

2.3 Les poursuites pour non-désignations habituelles

Certaines entreprises voulant éviter les limitations du droit de conduire des salariés refusent délibérément de désigner le conducteur de leurs véhicules et paient les amendes tant pour l’infraction initiale que pour la contravention de non-désignation.

Cette pratique faisant obstacle à la responsabilisation des conducteurs doit conduire à adapter la politique pénale en la matière.

Les infractions initiales et les infractions de non-désignation étant constatées par les agents du CACIR, le procureur de la République de Rennes pourra ainsi autoriser ceux-ci, de façon permanente, à requérir le directeur de l’ANTAI sur le fondement de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, aux fins d’identifier les personnes morales qui se sont acquittées de plusieurs amendes forfaitaires pour non-désignation.

Sur instructions du procureur de Rennes, les procédures ultérieures pour non-désignation concernant ces mêmes personnes morales pourront être directement transmises aux OMP compétents avec les informations révélant la réitération des faits pour saisine du tribunal de police, afin qu’une nouvelle amende forfaitaire ne soit pas émise. 

 
***
 
Je vous saurais gré de bien vouloir diffuser la présente circulaire auprès des officiers du ministère public de vos ressorts respectifs et de me tenir informée, sous le timbre du bureau de la politique pénale générale, de toute difficulté qui pourrait survenir dans la mise en œuvre de celle-ci.
 
 Catherine PIGNON
 
 

(1) Natinf 32055 : non transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur par le responsable légal de la personne morale détenant le véhicule-infraction routière constatée par un appareil de contrôle automatique homologué.
(2) En ce que le dispositif de l’article L. 121-6 du code de la route : « assure un juste équilibre entre les nécessités de la lutte contre l’insécurité routière et le droit de ne pas s’auto-incriminer, ne méconnaît pas les droits de la défense et ne porte aucune atteinte au principe d’égalité entre les justiciables » (Crim., 7 février 2018, 17-90.023), dans la mesure où : « la protection de l'ensemble des usagers de la route impose que ne soit pas assurée l'impunité d'un conducteur dont le comportement dangereux est avéré » (Crim., 4 avril 2018, 18-90.001) et que le législateur a pris soin de ne pas mettre : « à la charge du représentant légal de la personne morale une mission relevant d'un service de police dans la mesure où il doit seulement
(3) 
Décision n°2017-328 du 15 novembre 2017.
(4) Crim., 11 décembre 2018, 18-82.820.
(5) Si la responsabilité de l’État en tant que personne morale ne peut être recherchée, une circulaire du Premier ministre en date du 10 mai 2017 est venue préciser qu’il ne serait pas envisageable que les services de l’État soient exonérés de l’obligation de désignation du conducteur.
(6) Bien que le défaut d’assurance figure à l’article R. 130-11, les personnes morales n’ont pas à désigner le conducteur du véhicule non assuré, puisque l’obligation d’assurance relève de la responsabilité propre de la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation. Au surplus, l’article L. 121-6 du code de la route ne vise pas les délits mais les seules contraventions. 
(7) La charge de la preuve de cet envoi pèse sur le ministère public. Cette preuve peut résulter de la production par celui-ci du numéro de l’envoi par recommandé simple (ainsi pour des amendes forfaitaires majorées : Crim., 18 mai 2016, 15-86.095 & Crim., 4 janvier 2017, 16-80.630).
(8) Par ailleurs, le CACIR ne pouvant identifier les responsables légaux via le système d’immatriculation des véhicules, les avis de contravention sont envoyés aux représentants légaux non nommément désignés.
(9) « Vu l’article L. 121-6 du code de la route, ensemble l’article 121-2 du code pénal ; Attendu que le premier de ces textes […] n’exclut pas qu’en application du second, la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte, par ce représentant » (Crim., 11 décembre 2018, 1882.631 & 18-82.628).   
(10) À l’encontre du représentant légal, l’amende forfaitaire prévue pour les contraventions de la quatrième classe, telle que fixée par les articles R. 49, R. 49-7 et R. 49-9 du code de procédure pénale est de 90 euros pour l’amende minorée, 135 euros ou 375 euros en cas de majoration. Aux termes de l’article 530-3 du code de procédure pénale, la personne morale encourt une amende forfaitaire quintuplée. Le tribunal de police est, quant à lui, susceptible de prononcer une peine de 750 euros d’amende aux termes de l’article 131-13 du code pénal s’agissant du représentant légal, et de 3750 euros selon l’article 131-38 du code pénal s’agissant de la personne morale.