Circulaire du 3 juin 2019 relative à la présentation des dispositions relatives à l’incompétence des juridictions pénales pour connaître de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Date de signature :03/06/2019 Statut du texte :En vigueur
Date de publication :13/06/2019 Emetteur :Ministère de la Justice
Consolidée le : Source :http://circulaire.legifrance.gouv.fr
Date d'entrée en vigueur :14/06/2019

Circulaire du 3 juin 2019 relative à la présentation des dispositions relatives à l’incompétence des juridictions pénales pour connaître de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Paris, le 3 Juin 2019
Date d’application : immédiate


La garde des sceaux, ministre de la justice

A

Pour attribution

Mesdames et Messieurs les procureurs généraux près les cours d’appel
Monsieur le procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel
Mesdames et Messieurs les procureurs de la République
Madame la procureure de la République financier
près le tribunal de grande instance de Paris

Pour information

Mesdames et Messieurs les premiers présidents des cours d’appel
Monsieur le président du tribunal supérieur d’appel
Mesdames et Messieurs les présidents des tribunaux de grande instance
Monsieur le membre national d’Eurojust pour la France

N° NOR : JUSD1916126 C

N° Circulaire : CRIM/2019-16/H3/03.06.2019


N/REF : CRIM-BOL N° 2019-00277

Titre : Présentation des dispositions relatives à l’incompétence des juridictions pénales pour connaître de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Mots clefs : Terrorisme – victimes – parties civiles – action civile devant les juridictions pénales – réparation du préjudice – juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme – incompétence du juge pénal – compétence exclusive du tribunal de Paris – code de procédure pénale – code de l’organisation judiciaire – loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Publication : Bulletin officiel et intranet justice.



L’article 64 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice simplifie la procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme en donnant compétence exclusive au juge civil du tribunal de Paris pour traiter le contentieux de l’indemnisation de leurs préjudices.
 
En effet, lorsqu’elles sollicitaient la réparation de leurs préjudices, le parcours procédural des victimes d’actes de terrorisme était jusqu’à présent particulièrement complexe, celui-ci s’inscrivant souvent dans le sillage de la procédure pénale et faisant intervenir de multiples acteurs. Il est ainsi apparu nécessaire de le simplifier tout en favorisant l’égalité de traitement entre les victimes.
 
Le nouvel article L. 217-6 du code de l’organisation judiciaire donne compétence exclusive au tribunal de Paris statuant en matière civile pour connaître l’ensemble des litiges liés à la réparation des préjudices des victimes d’actes de terrorisme1, qu’il s’agisse des recours contre les décisions du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) ou de demandes en réparation dirigées contre les auteurs des faits2. La juridiction civile de Paris devient ainsi une juridiction spécialisée pour l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT).
 
La compétence exclusive du tribunal de Paris, dans sa composition civile, implique l’incompétence de l’ensemble des juridictions pénales ainsi que des juridictions civiles des autres ressorts3.
 
I. Les juridictions pénales sont désormais incompétentes pour connaître des demandes tendant à la réparation du dommage causé par un acte de terrorisme
 
Le nouvel article 706-16-1 du code de procédure pénale prévoit que l’action civile exercée devant les juridictions répressives ne peut tendre à la réparation du dommage causé par un acte de terrorisme. La dissociation de la réparation civile de l’instance pénale permet d’éviter que la dimension indemnitaire de l’action civile ne retarde le déroulement de l’information judiciaire et la tenue du procès pénal.
                                               

1 Les actes de terrorisme sont définis aux articles 421-1 à 421-2-2 et 421-2-6 du code pénal.
2 Les demandes qui relèveront désormais de la compétence exclusive du tribunal de Paris statuant en matière civile sont les suivantes : 
3 Pour la présentation des dispositions relatives à l’incompétence des juridictions civiles des autres ressorts, voir l’annexe 14 de la circulaire du 25 mars 2019 de présentation des entrées en vigueur des dispositions civiles de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (circulaire DACS CIV/04/2019 – NOR : JUSC1909309C).En application du VIII de l’article 64 de la loi, les juridictions civiles autres que le tribunal de Paris ne sont plus compétentes pour connaître des demandes en réparation des actes de terrorisme à compter du 1er avril 2019. Les demandes pendantes devant ces juridictions doivent être renvoyées par le greffe du tribunal saisi au tribunal de Paris, dans les conditions déterminées au même VIII de l’article 64. Néanmoins, conformément aux règles d’application de la loi civile dans le temps, cette incompétence ne s’applique pas aux instances dans lesquelles une décision sur le fond était déjà intervenue lors de l'entrée en vigueur de la loi. Les juridictions d’appel saisies d’un recours formé contre un jugement au fond rendu avant le 1er avril 2019 demeurent donc compétentes.


Les victimes d’un acte de terrorisme conservent néanmoins la possibilité de se constituer partie civile devant les juridictions pénales afin de mettre en mouvement ou de soutenir l’action publique et de se voir reconnaître la qualité de victimes. Elles continuent par conséquent à avoir accès au dossier de la procédure et à pouvoir formuler toute demande d’acte utile à la manifestation de la vérité. 
 
Cette disposition reprend la solution de principe de la chambre criminelle selon laquelle l’action civile peut être exercée même « dans les cas où la réparation du dommage échappe à la compétence de la juridiction répressive » car « elle tend à faire établir l’existence de l’infraction » (Cass. Crim., 10 février 1987, n° 85-95939). 
 
L’exercice de l’action civile à des fins vindicatives (1)  devant les juridictions pénales est possible même si les victimes ont préalablement demandé la réparation de leur préjudice devant le juge civil. Le deuxième alinéa de l’article 706-16-1 prévoit en effet que ne sont pas applicables les dispositions de l’article 5 du code de procédure pénale, qui dispose que « la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive ».
 
Les conséquences de ces nouvelles dispositions sont les suivantes :
  Les parties civiles conservent leurs droits au soutien de l’action publique (accès aux pièces de la procédure, demandes d’actes, observations écrites après l’avis de fin d’information, etc.).
 
Le juge d’instruction reste compétent pour ordonner, le cas échéant sur demande de la partie civile, des mesures d’expertise relatives aux victimes si elles sont utiles à la manifestation de la vérité (pour déterminer par exemple le nombre de jours d’incapacité totale de travail ou l’existence d’une mutilation ou d’une infirmité permanente).
 
En revanche, le juge d’instruction n’est plus compétent pour ordonner des mesures d’expertise portant sur l’évaluation des préjudices de la victime et tendant exclusivement à la réparation du dommage : si de telles demandes d’expertise sont présentées, le magistrat instructeur doit se déclarer incompétent et renvoyer ces demandes, par une décision non susceptible de recours, devant le tribunal de Paris statuant en matière civile, selon les modalités déterminées à l’article R. 50-54-1 du code de procédure pénale.
 
En application de cet article, une copie de la décision de renvoi et de la demande tendant à la réparation du dommage causé par un acte de terrorisme ainsi que des pièces de la procédure pénale qui paraissent utiles à l’examen de cette demande, sont aussitôt transmises par le greffe à la juridiction civile compétente. Si une victime présente une demande tendant à la réparation du dommage causé par l’infraction, la juridiction pénale de jugement renvoie l’affaire au juge civil du tribunal de Paris selon les mêmes modalités déterminées à l’article R. 50-54-1 du code de procédure pénale.

Enfin, la juridiction civile parisienne devenue exclusivement compétente se voit reconnaître au nouvel article 706-16-2 du code de procédure pénale, le pouvoir de procéder ou faire procéder à toutes auditions et investigations utiles, et notamment se faire communiquer par le procureur de la République ou le juge d’instruction copie des procès-verbaux constatant l’infraction ou toute autre pièce de la procédure pénale, même en cours. Elle peut ainsi demander des pièces complémentaires au procureur de la République ou au magistrat instructeur en cas de renvoi par ce dernier d’une demande tendant à la réparation du dommage causé par un acte de terrorisme. En cas de saisine directe du juge civil par les parties, cette disposition lui permet également d’obtenir du juge pénal les pièces utiles à l’examen des demandes qui lui sont adressées.

II. L’application dans le temps des nouvelles dispositions
 
L’article 706-16-1 du code de procédure pénale entre en vigueur le 3 juin 2019, à la date de celle du décret n° 2019-547 du 31 mai 2019 portant application du troisième alinéa de l’article 706-16-1 du code de procédure pénale qui détermine la procédure applicable en cas de renvoi du juge pénal devenu incompétent au juge civil.
 
A cette date, les juridictions pénales ne sont plus compétentes pour connaître des demandes tendant à la réparation du dommage causé par un acte de terrorisme.
 
Toutefois, en application du 1° de l’article 112-2 du code pénal, les juridictions pénales demeurent compétentes lorsqu’une décision au fond a été rendue en première instance. Par conséquent, pour les appels formés contre un jugement rendu au fond avant le 3 juin 2019, la cour d’assises statuant en appel et la chambre des appels correctionnels restent compétentes pour connaître de l’action civile en réparation du dommage causé par un acte de terrorisme.
 
 
***
 
Je vous saurais gré de bien vouloir me tenir informée, sous le timbre du bureau de lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et le blanchiment, de toute difficulté qui pourrait survenir dans la mise en œuvre de la présente circulaire. 
 
 
 (1) La doctrine qualifie de vindicative la dimension de l’action civile exercée devant les juridictions répressives tendant à faire établir l’existence de l’infraction par opposition à celle à des fins indemnitaires.


La directrice des affaires criminelles et des grâces
Catherine PIGNON