Circulaire du 10 janvier 2020 relative à la protection de la laïcité et à la lutte contre la radicalisation et le communautarisme

Date de signature :10/01/2020 Statut du texte :En vigueur
Date de publication :05/02/2020 Emetteur :Ministère de la Justice
Consolidée le : Source :http://circulaire.legifrance.gouv.fr
Date d'entrée en vigueur :06/02/2020

Circulaire du 10 janvier 2020 relative à la protection de la laïcité et à la lutte contre la radicalisation et le communautarisme

La garde des sceaux, ministre de la justice

à

Pour attribution

Mesdames et Messieurs les procureurs généraux près les cours d’appel

Monsieur le procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel
Mesdames et Messieurs les procureurs de la République  près les tribunaux judiciaires


Pour information

Mesdames et Messieurs les premiers présidents des cours d’appel

Monsieur le président du tribunal supérieur d’appel
Mesdames et Messieurs les présidents des tribunaux judiciaires 
Monsieur le membre national d’Eurojust pour la France


N° NOR :  JUSD2000897 C

REFERENCES : 2019/0122/T242

TITRE DETAILLE :  Circulaire relative à la protection de la laïcité et à la lutte contre la radicalisation et le communautarisme

MOTS CLES :  laïcité - école religieuse - lieux de culte - dégradations - discriminations - vols - discours de haine - enseignement non conforme - communautarisme - islamisme

ANNEXES
1. Tableau des infractions
2. Circulaire du ministre de l’intérieur en date du 27 novembre 2019 ayant pour objet la lutte contre l’islamisme et contre les différentes atteintes aux principes républicains 

 
 
La Constitution du 4 octobre 1958 rappelle, dès son article 1er, que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale et qu’elle respecte toutes les croyances. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Une République laïque doit permettre à chacun d’exprimer librement sa religion, de la choisir et d’en changer sans contrainte, ou de ne pas en avoir. Ce principe de laïcité à valeur constitutionnelle, introduit par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, exprime aujourd’hui la volonté d’un rapport apaisé avec les religions, en assurant à tous les citoyens, sans distinction entre eux, la liberté de conscience ainsi que le libre exercice des cultes sous réserve du respect de l’ordre public. 
 
L’Observatoire de la laïcité, qui assiste le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité, constate dans une étude de juillet 2019 le développement d’une visibilité publique de l’expression religieuse.
 
Les remontées d’information de vos parquets généraux révèlent, quant à elles, la nécessité d’une attention permanente au respect des valeurs portées par la laïcité. Une forme de repli identitaire et le développement du communautarisme menacent, dans certains  territoires, la cohésion sociale, dont les pouvoirs publics sont les garants. Une attention particulière s’impose face à la recrudescence des atteintes portées à l’encontre de nos concitoyens en raison de la religion ou des biens affectés à la pratique religieuse (dégradations et vols dans les églises ou les mosquées, tags antisémites, profanation de sépultures…). 
 
J’ai, par ailleurs, récemment réuni les procureurs généraux et procureurs de la République concernés par les plans de lutte contre la radicalisation dans les quartiers. Ils ont souligné l’importance qui s’attache à la lutte contre les phénomènes dits d’évitement scolaire, à la faveur du fonctionnement d’écoles hors contrat ou d’enseignements en ligne,  susceptibles de constituer autant de vecteurs alimentant les fractures communautaristes. J’ai, à cet égard, demandé à la direction des affaires criminelles et des grâces d’approfondir les voies et moyens permettant une meilleure coordination de l’action des parquets avec les services de l’Education nationale en vue d’apporter des réponses plus efficientes en présence de telles dérives.  
 
Le ministère public doit donc rester particulièrement vigilant sur l’application effective des dispositions pénales permettant de réprimer les atteintes à l’ordre public et au principe de la laïcité, que des infractions soient commises au nom des religions, ou que les croyances des uns suscitent des comportements délictueux chez d’autres.
 
Dans la continuité des précédentes instructions de politique pénale et des actions déjà conduites sur vos ressorts, il m’apparaît nécessaire de :

J’attire l’attention des procureurs généraux et des procureurs de la République sur la nécessité d’une mobilisation constante contre les différents abus commis au nom de la religion, qu’il s’agisse de discours ou d’autres comportements.
 
Toute forme de sectarisme est en effet incompatible avec la liberté de conscience. 
 
Un tableau figurant en annexe présente l’ensemble des infractions résultant de la loi du 9 décembre 1905 applicables à l’ensemble des cultes religieux sur le territoire national, à l’exception des deux départements alsaciens et de celui de la Moselle (lois du 17 octobre 1919 et du 1er juin 1924).  La loi réprime en particulier les pressions pratiquées sur une personne pour la déterminer « à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte » (article 31). 
 
Les dérives sectaires, constitutives d’abus de la liberté d’opinion ou de religion, mais aussi de l’ignorance et de la faiblesse d’autrui, ou de mise en péril des mineurs, sont parfaitement appréhendées par le droit pénal (1), comme toutes les formes de harcèlement moral (2) .
 
Une vigilance particulière doit être portée aux infractions commises au sein des établissements scolaires ou par l’intermédiaire d’écoles en ligne. Le fait pour un directeur d’établissement de dispenser un enseignement non-conforme à l’instruction obligatoire est sanctionné tant par le code pénal que par celui de l’éducation (3) . La peine complémentaire de fermeture de l’établissement scolaire en infraction apparaît tout à fait opportune pour ce type de faits. 
 
L’égalité entre les femmes et les hommes constitue également une composante essentielle des valeurs de notre société qui peut être mise à mal sur certains territoires. Il importe que la politique pénale sanctionne les infractions d’outrage sexiste (4) observées dans certains quartiers dans lesquels certains prétendent ainsi dicter aux femmes la façon dont elles devraient se comporter et s’habiller.
 
Aucun discours de haine susceptible d’entrer dans le champ pénal (5), notamment faisant l’apologie d’actes de terrorisme, ne saurait être toléré dans l’espace public, de même qu’il serait inconcevable que les ministres des différents cultes puissent tenir des propos (6), prôner des comportements (7) ou observer eux-mêmes certaines pratiques incompatibles avec les valeurs de notre société (8).  

Tout comportement ayant pour finalité de violer la liberté de chacun à exercer son culte est inacceptable. Le fait d’empêcher, de retarder ou d’interrompre l’exercice d’un culte est incriminé par l’article 32 de la loi de 1905.
 
Tout discours haineux, discrimination ou provocation à la discrimination fondée sur l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion est incompatible avec notre pacte républicain. Le comportement de celui qui opère une distinction ou refuse un service pour des raisons religieuses porte gravement atteinte au lien social et mérite d’être sanctionné (9). Doit ainsi être relevée, dès que les éléments constitutifs en sont réunis, la circonstance aggravante prévue par l’article 132-76 du code pénal qui renforce la répression d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui, soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons. 
 
De la même façon, la circonstance aggravante d’affectation au culte du lieu visé (10), applicable aux infractions de destruction, dégradation ou détérioration de bien ou celle de bien culturel  exposé, déposé ou conservé dans un édifice affecté au culte (11), doit être relevée à chaque fois que cela sera possible. 
 
Enfin, la répression des infractions de violation de sépulture et d’atteinte à l’intégrité des cadavres mérite une réponse particulièrement sévère et rapide, compte-tenu de l’atteinte au respect dû aux morts. Le mobile religieux en constitue une cause d’aggravation (12).
 
S’agissant particulièrement des faits ayant causé des blessures physiques ou de graves dégâts matériels troublant hautement l’ordre public, il conviendra de privilégier les poursuites par la voie de la comparution immédiate ou le défèrement des mineurs auteurs devant le juge des enfants, chaque fois que cela sera possible et nécessaire, ainsi que de veiller à présenter des réquisitions empreintes de fermeté devant la juridiction de jugement.
 
Comme y incite la circulaire du 4 avril 2019 sur les discriminations, les propos et les comportements haineux, les mesures alternatives à dimension pédagogique pourront le cas échéant être mises en œuvre en réponse aux faits commis par des auteurs sans antécédent. 
 
  
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Je sais les parquets particulièrement impliqués dans la reconquête républicaine des quartiers et engagés sur le terrain de la sécurité dans les territoires où le communautarisme se développe. La collaboration avec les préfets doit être pleine et entière. Si les groupes d’évaluation départementaux constituent l’instance idoine pour échanger sur la situation des individus radicalisés et évoquer les communautés mettant en échec la loi de la République, d’autres instances partenariales, telles que les CLSPD, les états-majors de sécurité, les CPRAF, les CORA ou les CODAF, doivent permettre de mieux appréhender collectivement les problématiques locales liées aux dérives communautaristes.
 
La circulaire du ministre de l’intérieur en date du 27 novembre 2019 jointe en annexe 2 précise à cet égard ce qui est attendu des représentants de l’Etat et mentionne la création d’un groupe interministériel et opérationnel, aux travaux duquel vous pourrez apprécier de participer en tant que de besoin en fonction des ordres du jour. Elle appelle en outre l’attention des préfets sur la nécessité de révéler à la justice, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, tout acte pénalement répréhensible qui sape les principes formant nos droits et libertés constitutionnellement garantis. Vous veillerez à réserver un traitement particulièrement attentif à ces signalements.
 
J’ai par ailleurs annoncé la diffusion au début de l’année 2020 d’un memento consacré à la lutte contre la radicalisation destiné notamment à fournir des outils opérationnels pour les juridictions.
 
Pour permettre un suivi efficace des procédures, vous voudrez bien veiller à informer la direction des affaires criminelles et des grâces des affaires les plus significatives.
 
Je vous saurais gré de bien vouloir me rendre compte, sous le timbre du bureau de la politique pénale générale de cette direction, de toute difficulté que vous pourriez rencontrer dans l’exécution de la présente circulaire.
 
 
Nicole BELLOUBET

 

 









































 


[1] Voir les articles 223-15-2, 227-17 et 227-17-2 du code pénal.

[2] Voir article 222-33-2 du même code.

[3] Voir en particulier les infractions prévues aux articles 227-17-1 du code pénal,  L.441-4 et L.914-5 du code de l’éducation.

[4] Article 621-1 du code pénal.

[5] L’article 421-2-5  du code pénal réprime ainsi le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes. Deux DACG Focus précisent les éléments constitutifs de ces infractions, le régime applicable aux poursuites ainsi que la notion de publicité.

[6] L’article 34 de la loi du 9 décembre 1905 incrimine l’outrage ou la diffamation par un ministre du culte envers un citoyen chargé d’un service public (peine d’un an d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende)

[7] L’article 35 de la même loi punit d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans la provocation publique par ministre du culte à la résistance à l’exécution des lois ou actes de l’autorité publique.

[8] L’article 433-21 du code pénal punit d’une peine d’emprisonnement de six mois et de 7.500 euros d’amende le fait de procéder de manière habituelle à des cérémonies religieuses de mariage sans justification de l’acte de mariage civil reçu par les officiers d’état civil.

[9] Article 225-1 et 225-2 du code pénal.

[10] Voir également le tableau en annexe, l’article 322-3-1 du code pénal porte à sept ans d'emprisonnement et 100.000 € d'amende la répression des infractions de destruction, dégradation ou détérioration lorsqu’elles portent sur un édifice affecté au culte, les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende lorsque l’infraction et commise par plusieurs personnes.

[11] Articles 311-4-2 et 322-3-1 du code pénal. 

[12] La répression des infractions définies à l’article  225-17 du code pénal d’atteinte à l’intégrité d’un cadavre (passible d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende) et de violation de sépulture, tombeau, urne cinéraire ou monument édifié à la mémoire des morts (même peine) est portée à deux ans d'emprisonnement et à 30.000 euros d'amende lorsqu’elles sont commises en concours. Les peines sont aggravées par application de l’article 132-76, lorsque ces infractions ont été commises en raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.