Circulaire n° 6282-SG du 5 juillet 2021 relative à la doctrine d’utilisation de l’informatique en nuage par l’État​

Date de signature :05/07/2021 Statut du texte :En vigueur
Date de publication :09/07/2021 Emetteur :Premier Ministre
Consolidée le : Source :circulaire.legifrance.gouv.fr
Date d'entrée en vigueur :10/07/2021

Circulaire n° 6282-SG du 5 juillet 2021 relative à la doctrine d’utilisation de l’informatique en nuage par l’État​


Lors du lancement de France Relance, j'ai eu l'occasion de rappeler combien la transformation numérique de l'État et des territoires constituait l'une des priorités de mon Gouvernement pour la modernisation et la simplification de l'action publique au service de nos concitoyens.
 
L'informatique en nuage (a cloud computing ») constitue un levier essentiel de cette transformation numérique. Elle permet le développement et la montée en charge rapides de services numériques selon les méthodes les plus avancées et pour un coût maîtrisé. Elle facilite le travail collaboratif et permet de doter les agents publics d'outils plus performants.
 
Il importe que l'État conserve une capacité d'hébergement en nuage interministérielle interne, mutualisée et opérationnelle, afin d'assurer sa souveraineté dans ce domaine. Pour accélérer sa transformation numérique, il doit également s'appuyer sur les offres privées présentant les garanties juridiques, techniques, cyber et opérationnelles requises, notamment celles proposées par les acteurs industriels français et européens. En effet, l'État doit veiller scrupuleusement à la protection de ses données et de celles de nos concitoyens, et notamment à leur hébergement sur le territoire de l'Union européenne, conformément au droit de l'Union.
 
Au total, je souhaite que les services et les organisations publiques placés sous votre autorité puissent tirer le plus grand profit de ces technologies. Pour ce faire, elles recourront désormais à l'informatique en nuage pour l'hébergement de tout produit numérique nouveau ou faisant l'objet d'une évolution substantielle, conformément aux modalités présentées en annexe et au cadre établi par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information.
 
Le passage à l'informatique en nuage doit, par ailleurs, être l'occasion pour l'État de renforcer la résilience de ses architectures numériques au service de la continuité du service public. Aussi intégrerez-vous systématiquement à vos décisions les exigences de réversibilité, de portabilité et d'interopérabilité. De même, vous vous attacherez à promouvoir la diversité des technologies, des fournisseurs et des infrastructures retenues. Vous veillerez également à ce que les offres technologiques retenues par vos services et par les opérateurs dont vous assurez la tutelle n'entravent pas l'autonomie de l'État dans ses choix numériques à venir.
 
Afin d'accélérer la transformation numérique de l'État, je demande à la ministre de la transformation et de la fonction publiques de vous apporter son concours dans la mise en oeuvre de la présente circulaire, qui fera l'objet d'un point de suivi régulier en comité interministériel de la transformation publique.
Jean CASTEX
 
 

Doctrine « cloud au centre » sur l'usage de l'informatique en nuage au sein de l'État
 
1. Historique
 
Le système d'information de l'État est régi par le décret n°2019-1088 du 25 octobre 2019. Il consacre à la fois une large délégation aux ministères de la responsabilité du Premier ministre dans la mise en oeuvre des systèmes d'information relatifs aux politiques publiques qu'ils portent, et le rôle d'animation stratégique, de conseil, de coordination interministérielle et de mutualisation opéré par la direction interministérielle du numérique de l'État (DINUM), sous l'autorité de la ministre de la transformation et de la fonction publiques. Ce rôle se traduit notamment par l'identification des bonnes pratiques et des innovations du marché numérique et l'impulsion à s'en saisir, dans le respect des intérêts des citoyens et de l'État.
 
Les opportunités relatives à l'informatique en nuage (cloud) ont donné lieu à une stratégie d'amorçage, formalisée dans une circulaire du 8 novembre 2018. Elle identifie le cloud comme l'un des chantiers prioritaires de la transformation numérique de l'État. Elle encourage les acteurs publics à s'emparer du cloud et à s'appuyer sur son potentiel pour rendre un meilleur service public aux citoyens, tout en gardant la maîtrise des données sensibles.
 
Les enjeux sous-jacents sont les suivants :

Le terme générique de cloud recouvre habituellement trois niveaux de services différents : l'hébergement distant « Infrastructure as a Service » (laaS), l'appui sur des composants techniques mutualisés pour simplifier la fabrication d'applications « Platform as a Service » (PaaS), et l'accès en mode locatif à des logiciels « Software as a Service » (SaaS).
 
Nous distinguerons dans la suite deux finalités :
2. Situation début 2021
 
Les deux années écoulées ont permis de concrétiser la stratégie de la circulaire de 2018 et d'obtenir des résultats tangibles.
 

2.1. Concernant le « cloud pour les équipes informatiques »
 
L'État a en premier lieu mis en place une stratégie d'offre, visant à investir pour mettre à disposition des équipes informatiques les capacités techniques et contractuelles de souscription aux technologies d'infrastructures cloud.
 

1) Cloud interne de l'État
 
L'État, comme la plupart des grandes organisations privées, s'est doté d'un cloud interne (dit « cercle 1 » dans la circulaire de 2018). Ces infrastructures, entièrement maîtrisées par l'État, incluant hébergement, ingénierie, exploitation et surveillance, visent à héberger les traitements et les données sensibles, ou dont la compromission nuirait au bon fonctionnement de l'État.
 
Il prend la forme de deux offres de services conçues, hébergées, exploitées et surveillées par 
Ces offres, qui s'appuient sur la technologie open source OpenStack, atteignent des résultats à saluer : une taille critique suffisante pour permettre leur viabilité, une ouverture aux besoins interministériels, des coûts et performances qui, sans atteindre encore le niveau des acteurs industriels spécialistes, rendent l'usage acceptable pour des besoins dont le niveau de sécurité le justifie.
 
Elles s'appuient sur, et sont portées par, le réseau interministériel de l'État (RIE), dont la raison d'être est d'assurer la continuité de l'État, même en cas de défaillance majeure d'Internet, et dont la résilience va être encore renforcée dans les années à venir.
 
Elles ont vocation à couvrir les besoins de «coud interne » de l'ensemble des ministères et à héberger une instance de tout système d'information indispensable pour la continuité de l'État, à l'exclusion de ceux du ministère des Armées qui dispose de son propre coud interne adapté aux exigences de ses systèmes d'information opérationnels, et de ceux qui ne sont pas déployés sur le RIE.
 
Elles doivent continuer à évoluer (résilience, richesse des briques PaaS, qualité de la relation client, etc.), avec notamment le projet d'introduction d'une offre d'orchestration de containers.
 
Elles doivent continuer à s'appuyer sur des technologies standard qui garantissent leur réversibilité vers les autres offres de coud internes ou commerciales. Elles doivent également continuer à s'appuyer sur un modèle économique, donnant lieu à un coût de refacturation aux administrations utilisatrices cohérent avec le coût réel de ces offres.
 
Cet état des lieux valide la stratégie initiale engagée en matière de coud interne et l'opportunité de la poursuite de leur développement, en veillant à ce que les efforts des ministères dans la construction et le développement de coud interne (hors maintenance de l'existant) soient exclusivement dirigés sur ces deux offres.
 

2) Cloud commercial
 
L'État a mis en place, via la centrale d'achat public UGAP, un support contractuel d'achat regroupant des offres commerciales « sur étagère » de fournisseurs de coud spécialisés, en conformité avec le niveau dit « cercle 3» dans la circulaire de 2018. Il vise à offrir le meilleur de l'état de l'art, sans prérequis de sécurité et de souveraineté (entendu dans le sens d'une indépendance au droit extra-européen), ce qui n'empêche pas que certaines offres commerciales aient d'excellentes qualités en la matière et puissent encore s'améliorer avec le temps.
 
Ces offres présentent d'ores et déjà un continuum de fonctionnalités et, pour partie, un niveau de conformité en matière de sécurité (SecNumCloud) qui permet de couvrir une large gamme de besoins de l'État. Elles ont vocation à continuer à progresser sur les plans fonctionnels, sécuritaires, d'interconnexion avec le RIE, à l'initiative des industriels concernés ou en partenariat avec les administrations.
 

3) Appui à la consommation des offres cloud
 
Dans le même temps, la DINUM a engagé auprès de l'ensemble des administrations une stratégie de soutien à la consommation des offres cloud précitées, via des leviers d'expertise, de co-financement et d'appui à la gouvernance.
 
Elle s'est également traduite par la simplification du parcours de commande pour les équipes informatiques des administrations, afin de favoriser la découverte et le recours à l'offre commerciale.
 
En quelques mois, plus de 200 projets ont déclaré leur intérêt pour les offres de cloud commercial et engagé leur bascule. Plusieurs projets d'envergure ont été déployés ou sont en cours de déploiement sur le cloud interne de l'État.
 

2.2. Concernant le « cloud pour les utilisateurs »
 
La bascule de services de l'État vers des logiciels à la demande dans le cloud s'effectue spontanément. Plateformes collaboratives, messagerie, portails de dématérialisation de démarches, logiciels métiers : les éditeurs de logiciels utilisés par l'État ont tous ouvert une offre SaaS et incitent les administrations à y souscrire.
 
Ce phénomène, qui se constate également dans la plupart des entreprises, est l'occasion pour les services utilisateurs de s'approprier des solutions qui répondent à leurs attentes fonctionnelles.
 
Ce mouvement doit être accompagné pour faciliter l'identification des offres logicielles à la demande qui répondront le mieux aux enjeux simultanés d'ergonomie, de richesse fonctionnelle, de sécurité, de protection des données, de facilité d'utilisation, de souveraineté et de maitrise de la dépense publique. Cet accompagnement doit également être l'occasion d'identifier les opportunités de mutualisation pour réaliser des économies d'échelle ou des gains opérationnels.
 
Les directions du numérique de l'État l'ont bien compris et ont engagé cette évolution. Dans le même temps, la DINUM a engagé la constitution d'une offre de services numériques interministériels, accessibles à tous les agents publics, construite sur des plateformes cloud laaS et PaaS internes et commerciales. Cette offre, dénommée « sac à dos numérique de l'agent public » (SNAP), comporte déjà plusieurs services collaboratifs (messagerie instantanée Tchap, messagerie collaborative de l'État, services collaboratifs Resana et Osmose, plateforme d'audioconférence Audioconf, webconférence) et s'étoffera.
 

3. Mise à jour de la doctrine cloud de l'État
 
Ces progrès et l'évolution des offres du marché, désormais nombreuses, de grande qualité et conciliant les enjeux de performance et de plus grande souveraineté, permettent de faire évoluer la doctrine cloud de l'État vers une approche nommée « cloud au centre ».
 
Cette doctrine s'applique aux acteurs de l'État et aux organismes placés sous sa tutelle, comme retenus dans le décret 2019-1088 définissant le système d'information de l'État, et se focalise sur deux grands enjeux :
3.1. Concernant le développement de la « culture cloud »
 
[R1] Pour tout nouveau projet numérique, quelle que soit sa taille, une solution cloud doit être recherchée : si le « cloud pour les utilisateurs » ne permet pas de remplir le besoin, une solution dédiée doit être envisagée sur une plateforme du « cloud pour les équipes informatiques ». Dans les deux cas, le mode produit doit être privilégié, incluant l'autonomie des équipes, la prise en charge continue des opérations, la confrontation rapide avec les utilisateurs du produit et un jalonnement par l'impact permettant d'arrêter, d'infléchir ou d'accélérer la trajectoire du produit en fonction des résultats constatés.

[R2] Les recrutements et les programmes de formation continue d'agents relevant à la fois des équipes informatiques et des directions sponsors des projets et des produits numériques, devront comporter un volet cloud. Il en va de même pour leurs managers. Les équipes qui expérimentent pour la première fois les approches cloud pourront bénéficier d'un accompagnement spécifique, mis en place par leur ministère, avec l'appui de la DINUM.

[R3] Il appartient à chaque administration de mettre en place les processus d'incitation et de contrôle de cette politique, qui mesure le niveau d'adoption par les équipes, identifie les freins et tient à jour le plan d'action visant à leur levée.

[R4] Tout projet relevant d'offres cloud commerciales devra comporter des conditions de fin de contrat et de réversibilité soutenables pour son administration, et provisionner les ressources financières, techniques et humaines correspondantes dès le lancement du projet, afin de rendre cette réversibilité activable effectivement. L'adéquation avec les règles' de GAZA-X, notamment d'interopérabilité et de portabilité, devra également être recherchée dans la mesure du possible.

[R5] Tout projet numérique ayant recours au cloud doit respecter les meilleures pratiques en matière de résilience, et reposer a minima sur des services déployés dans plusieurs zones géographiques pour assurer, selon le niveau de criticité, la continuité ou la reprise d'activité dans les meilleures conditions. L'offre cloud mobilisée doit offrir des garanties satisfaisantes en matière de mise à jour de ses composants pouvant être affectés par des failles de sécurité ainsi que de transparence et de réactivité en cas de compromission. En outre, lorsqu'elle envisage de retenir une offre cloud commerciale, l'administration doit prendre les mesures nécessaires de détection et d'isolation liées à la prévention de la propagation d'une compromission de sécurité.

1GAIA-X: Policy Rules and Architecture of Standards (data-infrastructure.eu)
 

3.2. Concernant le « cloud pour les équipes informatiques »

[R6] Pour tout nouveau projet informatique, les équipes informatiques de l'État et leurs prestataires doivent par défaut s'appuyer sur une ou plusieurs des offres de cloud internes ou commerciales pour couvrir l'intégralité du cycle de production des applications (développement, recette, production, secours, éventuelles plateformes bac à sable et formation). Les ministères choisissent, en fonction de critères qui leur sont propres, et notamment le niveau de sécurité, le coût complet de possession, l'expertise RH dont ils disposent en leur sein, leurs besoins techniques et fonctionnels, les choix d'urbanisation préalables, s'ils recourent pour leurs produits numériques au cloud interne de l'État ou à une offre cloud commerciale. Cette règle s'applique par extension à tout produit numérique existant qui donne lieu à une évolution majeure (changement de prestataire, évolutions représentant au moins 50 % du coût de fabrication du produit initial).

[R7] Les équipes qui souhaitent déroger à [R6] doivent le documenter auprès de la DINUM pour tout projet présentant un coût complet d'au moins un million d'euros, en produisant une étude comparative sur les aspects économiques, juridiques, métiers et de sécurité entre les scénarios.

[R8] Le contrôle de la doctrine « cloud au centre » est désormais intégré à la procédure de contrôle de conception des grands projets informatiques de l'État issue de l'article 3 du décret n°2019-1088 du 25 octobre 2019, au-delà du seuil de neuf millions d'euros. Sous ce seuil, ce contrôle relève des ministères.

[R9] Dans le cas d'un recours à une offre de cloud commerciale, les systèmes informatiques en production et en recette, incluant les éléments nécessaires à leur résilience, doivent respecter la règle suivante : [R10] La portabilité multi-ciouds doit être assurée. A cette fin, les équipes informatiques s'assureront que les adhérences techniques et fonctionnelles à la plateforme cloud retenue n'entravent pas notablement cette capacité de réversibilité et de changement de fournisseur de cloud. Dans le cas où cette adhérence est néanmoins légitimée par des gains opérationnels immédiats, le surcoût de la réversibilité doit être financé par ces gains.


3.3. Concernant le « cloud pour les utilisateurs »

[R11] ​La DINUM est chargée de piloter, avec le concours des DNUM, la conception et la mise en oeuvre de l'offre SNAP de services numériques interministériels, accessible à la demande par tous les agents de l'État.

[R12] Les ministères peuvent proposer à leurs agents des services logiciels à la demande additionnels à ceux disponibles dans SNAP. Ces offres doivent répondre aux attentes de leurs utilisateurs, tout en s'inscrivant dans les moyens humains et financiers dont les ministères disposent. Les ministères sont incités à se regrouper et à mutualiser leurs moyens à cet effet, avec l'appui de la DINUM, sans que cela ne conduise à empêcher les agents d'accéder à SNAP.

[R13] Les administrations ne doivent pas chercher à créer et maintenir de nouveaux logiciels sur mesure qui trouvent déjà leur équivalent dans les sphères publique ou privée ou parmi les communs numériques contributifs (logiciels libres et plateformes de services collaboratifs libres et ouverts, par exemple). Elles doivent répondre aux besoins de leurs agents et des citoyens en privilégiant les solutions disponibles, soit en y recourant sous forme de souscription de logiciel à la demande (offres SaaS commerciales), soit en intégrant, adaptant et déployant ces solutions sur le cloud interne de l'État (offres SaaS internes). En l'absence de solutions sur étagère, elles peuvent engager un développement sur mesure limité au périmètre spécifique en question.

[R14] Pour les services précités en [R11] et [R12], la conformité des infrastructures et des services de l'éditeur à la règle [R9] est impérative.

[R15] Dans le respect des règles de la commande publique, la diversité des fournisseurs doit être recherchée à l'échelle de l'État sur chaque segment des services aux utilisateurs, pour éviter la création de marchés captifs. Les administrations doivent, chaque fois que possible, évaluer plusieurs offres couvrant leurs besoins, en particulier dans les domaines de la micro-informatique, de la bureautique, de la messagerie et des solutions colla boratives.