Circulaire du 19 novembre 2024 relative à la lutte contre la délinquance du quotidien
NOR : INTK2431138J
Le ministre de l’intérieur
à
M. le préfet de police
Mmes et MM. les préfets de zone de défense et de sécurité, de région et de département
M. le préfet de police des Bouches-du-Rhône,
M. le préfet, directeur général de la police nationale,
M. le général d’armée, directeur général de la gendarmerie nationale
Mme la directrice des entreprises et des partenariats de sécurité et des armes
Pour information
M. le préfet, secrétaire général du ministère de l’intérieur
Mme la directrice générale de la sécurité intérieure
M. le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises
Chaque jour, plus de 1 000 Français sont victimes d’agressions, 600 connaissent le traumatisme d’un cambriolage et 1 500 subissent un acte de vandalisme. De surcroît, la délinquance s’adapte et empoisonne désormais toute notre vie sociale, investissant l’intégralité des champs du quotidien, comme notre vie numérique. Face à cette situation les Français nous exhortent à agir et exigent une riposte républicaine.
Nous avons la ferme volonté de répondre à cette exigence parce qu’il y va de la cohésion du corps social et de l’avenir de notre nation, la sécurité et l’ordre constituant les devoirs premiers de l’Etat.
La présente circulaire vous place en première ligne de ce combat pour la restauration de la sécurité quotidienne et détaille la méthode que nous entendons utiliser à cet effet. Le rétablissement de l’ordre partout sur le territoire national est votre mission première.
Notre philosophie d’action est claire et consacre votre liberté d’agir et votre capacité d’initiative pour lutter contre la délinquance et obtenir des résultats.
De cet esprit résultent un double enjeu et une méthode collective : à votre niveau, définir et mettre en œuvre un plan d’action départemental de restauration de la sécurité du quotidien (PADRSQ) (I) ; au niveau de l’administration centrale, accompagner les territoires à l’échelle nationale (II).
I – Le Plan d’action départemental de restauration de la sécurité du quotidien
Nous vous demandons de réaliser, pour le 15 janvier 2025,
un plan d’action départemental de restauration de la sécurité du quotidien (PADRSQ) comportant des actions précises et visant à obtenir des résultats concrets sur la sécurité et sur le recul de la délinquance. Ces plans doivent correspondre aux problématiques observées dans vos territoires. Portée avec les commandants de groupement de gendarmerie départementale (CGGD), les directeurs départementaux et interdépartementaux de la police nationale (DD/DIPN) et les directeurs territoriaux de la sécurité de proximité (DTSP) dans l’agglomération parisienne, cette démarche nécessitera un échange constant et une coordination étroite avec l’autorité judiciaire, les maires et élus de vos départements, ainsi que les acteurs locaux de la sécurité (sociétés de transport en commun, bailleurs, sécurité privée, professions exposées, etc.).
Ce plan est le vôtre et n’appelle aucune forme particulière mais il doit être à la hauteur des enjeux.
Ainsi, afin de mieux protéger, de mieux dissuader et de mieux entraver, le plan prévoira :
- un diagnostic territorial : il portera sur l’analyse de la délinquance (typologie des infractions commises), la localisation des faits, les horaires criminogènes et le profil des délinquants (mineurs, délinquance itinérante, prééminence des trafics de produits stupéfiants, multi-réitérants, délinquance induite par des conduites addictives, etc.). Il devra comporter une cartographie des sites nécessitant une action prioritaire : sites de visibilité, de rassemblements et de passage (gare, centre-ville, marchés), « points chauds » particulièrement criminogènes, etc. ;
- des effets à obtenir, notamment le renforcement de la présence de voie publique et de la sécurité dans les transports : « être là où il faut et quand il le faut » ;
- des modes d’action spécifiques tels que la concentration des efforts sur les « points chauds », le ciblage des profils perturbant durablement l’ordre public, le contrôle des flux et des points de passage obligés, ou encore la lutte contre la délinquance dans les territoires ruraux ;
- la mobilisation de l’intégralité des acteurs du continuum de sécurité, notamment les maires, leurs polices municipales et les gardes champêtres, ainsi que les administrations partenaires (douanes, directions départementales des finances publiques, URSSAF, ARS, etc.) et les acteurs thématiques (sécurité privée, assureurs, bailleurs, services de transport, ordres professionnels, fédérations et associations, directeurs sécurité-sûreté des entreprises présentes sur votre territoire, etc.), en veillant notamment à la résolution des difficultés concrètes et au partage de l’information. Les instances existantes de coordination : état-major de sécurité thématisé, CISPD/CLSPD, GPO qui ont fait leur preuve seront privilégiées dans un esprit de simplicité et de caractère opérationnel. Nous insistons sur la nécessité de rassembler l’ensemble des acteurs, qui seule permettra de lutter efficacement contre la délinquance en utilisant tous les outils disponibles ;
- vous devez vous impliquer dans le dialogue avec les maires en premier lieu, les élus de manière plus générale et la population notamment dans une démarche d’« aller vers », de manière à développer une culture de redevabilité des forces vers la population. Vous vous attacherez à répondre aux attentes concrètes des maires et des Français. Vous marquerez votre volonté de leur présenter nos résultats. Vous recueillerez leur niveau de satisfaction comme leurs propositions. La conclusion de nouveaux contrats de sécurité intégrée ou l’intégration d’un volet « sécurité » dans les conventions « petites villes de demain » est vivement encouragée afin de souligner et de consacrer l’effort partagé par l’Etat et les collectivités. En outre, les projets d’installation de dispositifs de vidéoprotection seront accompagnés par les référents sûreté et vos services, ciblant idéalement les lieux identifiés dans vos cartographies ainsi que les axes et les points de passage obligés, facilitant ainsi la traque des périples délinquants.
Outil de cohérence entre les différents partenariats déployés dans vos départements (CSI, contrats locaux de sécurité…), ce plan devra décliner les dispositifs qui seront mis en œuvre à votre initiative. Vous pourrez notamment :
- mobiliser tous les modes de présence des FSI (patrouilles en véhicule, pédestres, cyclistes, équestres, permanences dans des tiers lieux, etc.) ;
- renforcer la sécurité dans les transports en utilisant toutes les forces possibles et pas seulement celles qui sont territorialement compétentes, ainsi que les polices municipales et les services de sécurité des opérateurs de transport, et en développant le conventionnement avec les collectivités pour engager des réservistes de la police et de la gendarmerie sur les différents réseaux de transports en commun ;
- aller au-delà des opérations mises en place sous le label « Place nette » en adoptant, au cœur de vos plans, une stratégie opérationnelle de riposte et de restauration républicaine reposant impérativement sur la coordination la plus étroite avec l’autorité judiciaire :
- les opérations « Place nette » sont poursuivies dans leur esprit (opérations judiciaires d’envergure adossées à une occupation prolongée du terrain et à une saturation administrative et partenariale). L’inscription dans la durée et la recherche de résultats concrets seront privilégiés et la communication traitée dans le cadre habituel en fonction des résultats obtenus ;
- portée par des opérations judicaires et des contrôles administratifs à 360° visant à casser l’écosystème délinquant (notamment au travers des CODAF, des fermetures de commerce ou de lieux de vie, et du droit des étrangers), cette stratégie concrétisera une concentration des efforts, pour frapper de manière décisive la délinquance qui déstabilise les quartiers, érige des contre-sociétés et défie les institutions ;
- il s’agira en outre d’apporter des améliorations visibles en passant des conventions et en signant des protocoles avec les collectivités, les bailleurs, les opérateurs, les associations et les représentants de professions particulièrement exposées à des risques de délinquance, pour agir concrètement sur le territoire considéré (enlèvement des encombrants et des épaves, réparation des infrastructures publiques, effacement des tags, identification dès leur émergence des nouvelles tendances de délinquance, etc.) ;
- la prévention de la délinquance, dont la stratégie nationale est en cours de refonte sous l’autorité d’Othman Nasrou, secrétaire d’Etat chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations, si elle n’est pas partie intégrante des plans d’action pour la restauration de la sécurité du quotidien, peut être abordée dans le cadre de votre réflexion ;
- enfin, vous vous interrogerez sur l’opportunité de maintenir les dispositifs préexistants comme les QRR et ZSP en recherchant une cohérence globale et une lisibilité de votre action (sans que cela ne remette en cause les renforts d’effectifs obtenus à l’occasion de la création de ces concepts) ;
- impulser la création de dynamiques locales dédiées à la localisation, la recherche et l’interpellation des individus inscrits au fichier des personnes recherchées (FPR) sur lesquels pèse une mesure de contrainte ;
- prioriser les profils majeurs perturbant durablement et de façon répétée l’ordre public, ainsi que les mineurs délinquants réitérants sans préjudice des prérogatives de l’autorité judiciaire, en choisissant une approche partenariale large, visant à apporter les réponses de fond comme d’urgence, y compris en lien avec les acteurs de la santé mentale.
Ainsi, ces plans constitueront vos feuilles de route pour votre action en matière de sécurité, rassemblant les policiers, les gendarmes et les acteurs du continuum. Vous actualiserez ces plans selon une régularité qu’il vous incombe de fixer,
a minima annuellement
, pour répondre aux réalités locales et aux résultats que vous obtiendrez en fonction des indicateurs et objectifs que vous aurez identifiés et définis dans votre plan.
Enfin, dans l’objectif de libérer des capacités opérationnelles à tous les niveaux,
nous vous invitons à approfondir sans délai l’identification des tâches dites périphériques, qui empêchent les effectifs d’être sur la voie publique, visibles par la population, et à recenser puis à proposer des stratégies de réduction, de suppression et de simplification. Vous veillerez à ce que les gains obtenus par la suppression de ces tâches se traduisent par la présence accrue des effectifs sur la voie publique et sur l’investigation.
II – Les administrations et états-majors centraux vous appuieront dans la mise en œuvre de vos plans
La latitude que nous souhaitons vous redonner doit vous permettre de mettre en œuvre des outils innovants et des pratiques efficaces qui correspondent à vos réalités locales, de réaffirmer l’autorité de l’Etat au travers d’un engagement conjoint des autorités administratives et judiciaires, de mobiliser les élus locaux de votre territoire autour de cette urgence commune et d’identifier les irritants qui contraignent votre action.
Pour ce faire,
les administrations et les états-majors centraux vous apporteront un appui permanent dans la conception et la mise en œuvre des PADRSQ.
A ce titre, le service de statistique ministériel de sécurité intérieure se tient à votre disposition (
[email protected]) pour vous faire parvenir des éléments d’appréciation de vos départements qui nourriront vos diagnostics et vous appuyer dans la construction éventuelle d’indicateurs permettant de mesurer les résultats obtenus.
Par ailleurs, vous pourrez solliciter les
moyens nationaux d’enquête (unité nationale d’investigation de la police nationale et unité nationale de police judiciaire de la gendarmerie nationales, GIR et offices centraux), d’
intervention (RAID, GIGN et BRI) et de
restauration de la paix publique (EGM Guépard et CRS de nouvelle génération).
Ces moyens, ainsi que les effectifs des forces mobiles seront déployés prioritairement dans les « points chauds », dont le statut évoluera au gré des résultats obtenus. Nos cabinets organiseront régulièrement des réunions pour faciliter la mobilisation des moyens nationaux sur ces points chauds ou toute autre forme de délinquance préoccupante.
Enfin,
une réunion bimestrielle organisée au ministère permettra de suivre les résultats obtenus et de réorienter les priorités comme l’accompagnement national et les moyens déployés pour y répondre. Vous pourrez alors être amenés à y participer pour faire part d’une organisation spécifique ou de la conduite plus générale de votre plan.
Vos plans et tout élément relatif à la mise en œuvre de ces directives devront parvenir à notre cabinet (
[email protected]).
Fait le 19 novembre 2024.
Bruno RETAILLEAU
Nicolas DARAGON